vendredi 26 avril 2013

Vingt-trois

.1 Céline de Lévesque à Luchini

On sent à la lecture de ses récentes Digressions (livre commenté sous peu) que Robert Lévesque aime à fréquenter le Dr. Destouches (et sa centenaire de veuve en prime) et qu'il l'a beaucoup pratiqué. J'ai, en parallèle, réécouté la « lecture » qu'a donné Fabrice Luchini du Voyage au bout de la nuit (cédé non disponible semble-t-il), ce qui m'a donné le goût de retrouver « dans le texte » les extraits choisis par le comédien. Mon livre, dans la Blanche de Gallimard, date de 1986 et donne l'édition de 1952 avec, bigre ! son espèce de préface « Ah, on remet le Voyage" en route. [...] Si je n'étais pas là tout astreint, comme debout, le dos contre quelque chose... je supprimerais tout. »

Par parenthèse, le Voyage est bien un de ces livres dont on parle et qu'on ne lit pas; ou plutôt de la sulfureuse réputation du bon docteur, qui fait que la messe est dite « moi je ne touche pas à cela » et qu'on se sent dédouané de notre bon petit antisémitisme ou autre racisme de base.

.2 Citation

On arrive à soixante ans, et en quel état encore, puis on lit ce qui suit, qui vous requinque :
« On devient rapidement vieux et de façon irrémédiable encore. On s'en aperçoit à la manière qu'on a prise d'aimer son malheur malgré soi. C'est la nature qui est plus forte que nous voilà tout. Elle nous essaye dans un genre et on ne peut plus en sortir de ce genre-là. Moi j'étais parti dans une direction d'inquiétude. On se prend doucement son rôle et son destin au sérieux sans se rendre bien et puis quand on se retourne il est bien trop tard pour en changer. On est devenu tout inquiet et c'est entendu comme ça pour toujours. »
Déterministe, le bon docteur D.; et roboratif comme pessimisme/réalisme, n'est-ce pas ? Pour moi, je me chante in petto quelques vers d'Aragon : « Est-ce ainsi que les hommes vivent, et leurs baisers au loin les suivent, comme des soleils révolus ». Allons, courage les filles !

.3 La fureur de lire

D'occasion, le Voyage; j'en achetais beaucoup à l'époque des livres d'occasion, dans les années quatre-vingts, surtout des Pléiades, à petit prix, ça vaut le coup, et des auteurs que « j'essayais ». Céline était un ce ceux-là, qui n'était pas au programme du collège -- l'est-il maintenant -- mais dont j'étais au courant notamment par Malraux. L'exemplaire semblait en bon état, je l'acquis. Le feuilletant, je constatai quelques soulignements et, en marge, quelques astérisques; pas bien grave, je m'étais depuis un certain temps libéré de cette espèce de fétichisme qui en empêche plusieurs d'annoter leurs livres, les traitant avec la même vénération qu'autrefois les croyants portaient aux reliques.

J'entrepris donc le voyage soulignant et annotant généreusement -- j'aime bien placer en marge une sorte de « K » que j'entoure d'un cercle, un peu comme une perluète, réminiscence du « capitalissime » proustien. Arrivé à la page 295, début d'un chapitre -- voir la vignette -- je constate que le lecteur qui m'a précédé a tenté d'effacer au fluide correcteur le soulignement d'un passage, puis, rageusement, recopié en capitales le passage au haut de la page, mais en en escamotant quelques lignes (preuve que le lecteur se fait auteur);  le tout appuyé en bas de page, d'un très vif « Espèce d'enc... qui marque les livres ! ».

En l'espèce, l'arrosé devenu arroseur.

Pour moi, le mal était déjà fait, et je persiste (mais sans signer).

Le passage en question n'est pas sans rapport avec la citation ci-dessus :
« J'étais comme arrivé au moment, à l'âge peut-être, où on sait bien ce qu'on perd à chaque heure qui passe. Mais on n'a pas encore acquis la force de sagesse qu'il faudrait pour s'arrêter pile (le furieux transcrit « s'arrêtait ») sur la route du temps, et puis d'abord si on s'arrêtait on ne saurait quoi faire non plus sans cette folie d'avancer qui vous possède et qu'on admire depuis toute sa jeunesse. Déjà on est moins fier d'elle sa jeunesse, on ose pas encore l'avouer en public que ce n'est peut-être cela sa jeunesse, de l'entrain à vieillir. »
On constate bien, à la lecture de ce passage, que déjà, dans les années trente du siècle dernier, le progrès faisait rage : « folie d'avancer »...

.4 Incipit

« Comment commente-t-on un livre ? Au fait, ça commence ou ça démarre, l'écriture d'un bouquin ? Peut-être que ça pourrait débuter ? »  R. Lévesque
« Ça a débuté comme ça. Moi, j'avais jamais rien dit. Rien. » L.-F. Céline
 Quand on aime aimer, on veut émuler, n'est-ce pas ?

.5 Relecture

Est-ce que ma phrase  « D'occasion ... » ne constituerait pas comme un pastiche inconscient de Céline ? Cela dit, j'ai toujours assez aimé l'inversion (penchant bien naturel diront ceux qui me fréquentent de plus près), déjà du temps de la législation : elle permet de mettre en évidence tel élément de la disposition.

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