mardi 30 avril 2013

Vingt-cinq

.1 Retraite 3


La prise de conscience de l’existence de cet avant, rendue manifeste par la fin imminente de sa carrière, poussa Thomas à réfléchir à son avenir de nouveau vieux, les sous, le temps dit libre, mais surtout à son passé qui se chargeait maintenant d’une qualité toute historique. Le fini annule le « à suivre », c'est-à-dire ce quotidien plein d’agitation où il faut être le meilleur, où orgueil et vanités sont vertus et où tout doit être urgent sous peine de déclassement . Oui, Thomas avait brillé, soleil désormais éteint, et son ascension au ministère fulgurante; du moins se plaisait-il à se l’entendre dire et, plus ou moins in petto, à le croire. Pourquoi, dès lors, la mise en demeure, pour ne pas dire mise à demeure, signifiée par son propre corps, par son cerveau, de surcroît, si performant, siège d’une intelligence peu commune, disait-on, où des connexions ne se faisaient plus, ce qui le mettait en une espèce de lock out physique. Un humoriste oublié, Pierre Daninos, avait d’une situation semblable tiré un très beau récit, Le trente-sixième dessous, maintenant épuisé (quelle ironie). Oui, c’est ça, le trente-sixième dessous. Mais le divan…

Des épisodes de ce quart de siècle mort lui revenaient. Je pense, par exemple, à cette cérémonie de remise de prime qui m’avait tant agacée, et où j’étais allé dans un état de colère à peine rentrée. Une photo en témoigne encore, sur laquelle je tiens, la fameuse plaque souvenir à l’envers…

Oui, Thomas revivait cette cérémonie qui, tout compte fait, ...

Neuf heures trente. Le message était péremptoire. Neuf heures trente, pour que la cérémonie commençât à dix heures. Neuf heures vingt, donc, comment s’appelle-t-il ? disons Thomas, souvent, il faut qu’on le sache, en délicatesse avec la ponctualité, arriva au Château Bruyère. Un peu essoufflé comme s’il eut été en retard, une vague inquiétude lui suintant dans le dos, ces cérémonies, ce n’est pas ma tasse de thé, loin s’en faut. Agnostique dans les bons jours, athée le reste du temps, et il n’y avait pas eu de bons jours ces temps-ci.

Cérémonie de la Reconnaissance, de la Fierté et du Mérite de l’Administration publique fédérale, excusez du peu !

Neuf heures vingt et Thomas, passé le lot habituel d’anonymes qui vont et viennent en permanence dans les halls d’hôtel, puis guidé par un parcours d’affiches, dans les deux langues officielles, pénétra dans la salle de bal.

Rangées de chaises, quelques robes affairées à disposer les programmes sur celles-ci, trois ou quatre complets gris debout à droite – où d’ailleurs sinon à droite ? chuchotent quelque messe basse. Des grenouilles de bénitier, ça et là, des deux sexes, les levés tôt, les assidus, les fans en quelque sorte, s’agitent lentement déjà. Nul n’osait encore prendre place et Thomas, assommé, battit en retraite.

Parcours à l’inverse. L’angoisse suinte un peu plus, mais maintenant sur le torse : falloir boutonner la veste. Du calme. Les toilettes, au plus vite. Parcours à l’inverse, voici d’autres participants, zut ! un collègue. Impossible de l’éviter : Ah, bonjour ! Tu en es ? Oui, pour la Santé, je vois, douze ? Bien, nous, c’est cinquante-sept. Oui le mariage, celui-là…, tu sais, pour tous. Manque le balayeur, je crois, un oubli regrettable. Tu m’excuses, une seconde, le petit coin…

Reviens sur tes pas, Thomas. À droite, si je me souviens. Là, une des huiles, du saint des saints, il ne me reconnaît pas, les mains propres, comme il se doit, serait-il célébré ? Face à la glace, cheveu court, lèvre pincée, Thomas constata que l’angoisse suintait toujours. Bon, neuf heures trente, je vais où en attendant ? Et de filer droit devant en sortant, une sorte de vestibule victorien, avec la statue du Grand Important ayant donné son nom à l’hôtel perché tout plâtré genre faux marbre au sommet d’une fontaine qui jette un vague pipi d'eau de vasque en vasque, Thomas, donc, se regarda les vitrines avec le limoges fin de siècle, le dix-neuf, l’argenterie et tout le ramdam de l’époque où on savait faire riche sans faire nouveau. Assiettes peintes, services à thé et café.

Tiens en voici d’autres qui doivent être distingués, jeunes, ne savent pas ce qu’ils font, encore les dents longues, seul le complet est modeste, dans le genre anglais, synthétique, pas encore le temps de l’amertume. Thomas, c’est bien lui, ayant fait le tour des vitrines et des débris d’un passé glorieux mais rien que bourgeois, décida que, alea-jacta-est, le Rubicon est à franchir, et que quand faut y aller, il faut y aller (référence au Dernier Métro, mais ne digressons pas, le film de Truffaut, mais gare à la cuistrerie, le lecteur saura). Neuf heures quarante, il devrait y avoir plus de monde.

Thomas essayait de fixer les détails de ce qu’il voyait, comme dans un rêve, cherchant le petit ridicule, le punctum, qui ferait rire, tout en éprouvant un irrésistible sentiment d’horreur, oui, pensa-t-il, tout ceci est vide, cela signifie quelque chose, mais c’est vide, et ce vide l'horrifiait, et l’attirait, comme aurait été attiré l’œil de l’ethnologue devant un rituel tribal. Ces gens assemblés seraient distingués, marqués, devant leurs pairs : une circoncision ? Le lecteur qui ne connaît pas ces capitales qui ne sont pas de vraies villes, en ce sens qu’elles n’ont guère d’histoire, posées là par nécessité, qui n’a pas fréquenté les lieux de grand et petit pouvoir ne peut guère imaginer l’ampleur du malaise de Thomas, lui, le petit cadre de la Grande Organisation des Droits et Vertus citoyennes et démocratiques.

Chacun prit bientôt sa place, neuf heures quarante-cinq, par groupes de nominés, Thomas, qui lorgnait vers la dernière rangée, un peu comme à l’église, suivit sa collègue, mais obtint, d’un regard suppliant, qu’ils se plaçassent dans une travée de côté. Sur l’estrade, quelques hommes s’activaient à avancer les drapeaux des provinces et territoires, placés, comme entre parenthèses, entre deux drapeaux nationaux. Beaucoup de rouge sous la lumière blanche des lustres. Le sous-ministre, à gauche, barbiche XIXe et costume gris, siège dans une sorte de fauteuil; à sa droite, sur un guéridon, un ensemble floral de circonstances, rouge et blanc.

Thomas regardait. Thomas essayait de ne pas penser, mais son esprit délirait. Ce n’est qu’un symbole, du calme, c’est pour faire plaisir. N’empêche, faire plaisir à qui ? Ils veulent me dire qu’ils m’aiment, c’est ça. Mais ne veulent-ils pas se montrer qu’ils s’aiment de m’aimer ? Symbole. J’ai lu ça en quelque part. Une histoire d’images en Occident. La télé, le pouvoir, qui a écrit ça ? C’est comme mon Freud à moi, sauf que je l’ai en action sous les yeux le symbole, et ça me fait chier.

« Le symbolon, de symballein, réunir, jeter ensemble, rapprocher, désignait à l’origine une tessère d’hospitalité, un fragment de coupe ou de bol coupé en deux entre des hôtes qui transmettent les morceaux à leurs enfants pour qu’ils puissent un jour retrouver les mêmes relations de confiance en ajustant les deux fragments bord à bord. C’était un signe de reconnaissance, destiné à réparer une séparation ou franchir une distance. Le symbole est un objet de convention qui a pour raison d’être l’accord des esprits et la réunion des sujets. Plus qu’une chose, c’est une opération et une cérémonie : non pas celle des adieux mais des retrouvailles (entre amis anciens qui se sont perdus de vue). Symbolique et fraternel sont synonymes : on ne fraternise pas sans quelque chose à partager, on ne symbolise pas sans unir ce qui était étranger. L’antonyme exact du symbole, en grec, c’est le diable : celui qui sépare. Dia-bolique est tout ce qui divise, sym-bolique, tout de qui rapproche. »

Cette citation, lecteur, est tirée de l’essai de Régis Debray, Vie et mort de l’image – une histoire du regard en Occident. C’est ce texte, ou du moins le souvenir qu’il en avait, qui trottait maintenant dans la tête de Thomas. La référence à Freud,  « mon Freud à moi », renvoie au psychiatre de Thomas, et aux longues années de psychothérapie sur le divan d’icelui, mais sauf à transformer le héros de cette nouvelle en Marcel de la Recherche du temps perdu, il te sera épargné le récit  des séances bi-hebdomadaires, sur plusieurs lustres, des péripéties familiales et professionnelles, sans parler de ses préférences sexuelles – on dit plutôt « orientation » – de l’intéressé, chaque chose à sa place et les cochons seront bien gardés. À Thomas ses divagations, tu es, lecteur, dans la salle de bal du Château Bruyère.

La cérémonie commence.







Sur l’estrade, le « trône » et le lutrin. Le sous-ministre; le « SMA » qui sera le cérémoniant; le photographe pédé qui s’agite, son escabeau. La foule s’assemble. Introibo ad altare Dei : les instructions du cérémoniant « levez-vous, restez à vos places… ». L’homélie du SM, retour à la cathèdre et regard attendri sur les ouailles.
La confirmation/communion. La longue récitation des prix, des qualités des récipiendaires, les éloges. Tous y passent, même les absents. La montée vers l’estrade, la remise du « prix ».
La photographie, comme témoignage. Mise en scène.
Le tour du groupe dont fait partie Thomas. La distribution « en masse » des plaques, on redistribue. La photo « Vous là-bas, venez devant ».
Trois photos. « Thomas, tu tenais ta plaque à l’envers ». Ite missa est. Courage, fuyons.


lundi 29 avril 2013

Vingt-quatre

.1 Repentir

Pas très content de l'article Digressions d'hier. Ne suis arrivé qu'à des généralités assez banales et pas à en exprimer la saveur. Écrire « j'aime », chacun le peut, et chacun le fait, à quoi bon donc. Me semble que, trop séduit par ce livre, j'étais comme une midinette en face son idole -- toute proportion gardée. En plus, le bougre, nos styles sont assez semblables, notamment pour la ponctuation -- tirets, parenthèses, mon cher point-virgule -- ou le recours aux incises. Et puis les sujets.

Laisser reposer, on pourra écumer demain.

.2 Abondance nuit

Trop de livres en cours. Avec tous ce livres à livres, je ne sais plus où donner de la tête. Gide : reprendre Paludes, ou bien lire les Caves ? Malraux : lire Les noyers de l'Altemburg, ou bien reprendre les essais sur l'art ?

Sans compter les titres « en souffrance » dans ma tablette, le Modernes Catacombes de Régis Debray, dont je n'ai lu que les seuls chapitres sur Malraux (pas que de la fuite dans les idées, le vieux, quand même, un peu de suite), le Discordances des temps de Christophe Charle (pas de « s », comme le cuisiniste qui a remodelé ma cuisine, et dont je ne retiens plus que ce surnom qu'on lui avait attribué : Padesse ») et  aussi La cause des livres de Mona Ozouf, un autre livre à livres. Je n'ose même plus songer au Néolibéralisme(s) de Serge Audier, mon premier livre électronique acheté -- j'avais déjà, comme il se doit, téléchargé la Recherche, libre de droits.

M*** me parle de Mélodie -- Chonique d'une passion d'Akira Mizubayashi, de qui je lui avais fait lire Une langue venue d'ailleurs : le signet est à la page vingt, au deuxième chapitre : Le 2 décembre 2009. Je devrai recommencer du début.

Tout ça à cause de...

Je n'ai jamais bien su dire non, même, à l'évidence, aux livres : quelqu'un me regarde, je ne veux pas lui déplaire, et comme elle ne me regarde plus, les livres le font pour elle : comment leur dire non ?

Je ne devrais pas écrire -- improviser -- le soir, si tard, la nuit.

Est arrivé ce matin, par la poste, un pli des éditions Gallimard, du Cercle de la Pléiade :
« ... Cette édition hors commerce imprimée sur papier vergé de Rives constitue l'édition originale des Lettres de Louis-Ferdinand Céline à Henri Mondor. Elle est exclusivement réservée aux membres du cercle de la Pléiade.

Veuillez recevoir... »
 Oh ! comme j'ai reçu. Si bien que je l'ai commencé, pensez-vous, ce livre à l'ancienne, édition originale, tirage limité (2 000 exemplaires),  hors commerce et pas massicoté ! Ça ne se refuse pas, une telle invitation, ça n'attend pas au lendemain. Et puis du Céline, dont Robert Lévesque vient tout juste de me parler, et de sa veuve. C'est vrai que c'est beau un tel livre, ça vous fait plaisir aux doigts le vergé de Rives. Seules mes apostilles gardent leur priorité.

Je ne devrais pas écrire le soir, si tard, la nuit.

Mais lire, si.

vendredi 26 avril 2013

Vingt-trois bis

.1 Céline par Luchini

Une lectrice a la gentillesse de nous signaler que l'enregistrement du Voyage au bout de la nuit interprété par Fabrice Luchini est disponible sur You Tube. À ne pas manquer.

Voyage au bout de la nuit I
Voyage au bout de la nuit II

Merci à M. D. (non, il ne s'agit pas de la feue M. D. à laquelle vous pensez, je n'entretiens pas de correspondance avec des posthumes...)

Vingt-trois

.1 Céline de Lévesque à Luchini

On sent à la lecture de ses récentes Digressions (livre commenté sous peu) que Robert Lévesque aime à fréquenter le Dr. Destouches (et sa centenaire de veuve en prime) et qu'il l'a beaucoup pratiqué. J'ai, en parallèle, réécouté la « lecture » qu'a donné Fabrice Luchini du Voyage au bout de la nuit (cédé non disponible semble-t-il), ce qui m'a donné le goût de retrouver « dans le texte » les extraits choisis par le comédien. Mon livre, dans la Blanche de Gallimard, date de 1986 et donne l'édition de 1952 avec, bigre ! son espèce de préface « Ah, on remet le Voyage" en route. [...] Si je n'étais pas là tout astreint, comme debout, le dos contre quelque chose... je supprimerais tout. »

Par parenthèse, le Voyage est bien un de ces livres dont on parle et qu'on ne lit pas; ou plutôt de la sulfureuse réputation du bon docteur, qui fait que la messe est dite « moi je ne touche pas à cela » et qu'on se sent dédouané de notre bon petit antisémitisme ou autre racisme de base.

.2 Citation

On arrive à soixante ans, et en quel état encore, puis on lit ce qui suit, qui vous requinque :
« On devient rapidement vieux et de façon irrémédiable encore. On s'en aperçoit à la manière qu'on a prise d'aimer son malheur malgré soi. C'est la nature qui est plus forte que nous voilà tout. Elle nous essaye dans un genre et on ne peut plus en sortir de ce genre-là. Moi j'étais parti dans une direction d'inquiétude. On se prend doucement son rôle et son destin au sérieux sans se rendre bien et puis quand on se retourne il est bien trop tard pour en changer. On est devenu tout inquiet et c'est entendu comme ça pour toujours. »
Déterministe, le bon docteur D.; et roboratif comme pessimisme/réalisme, n'est-ce pas ? Pour moi, je me chante in petto quelques vers d'Aragon : « Est-ce ainsi que les hommes vivent, et leurs baisers au loin les suivent, comme des soleils révolus ». Allons, courage les filles !

.3 La fureur de lire

D'occasion, le Voyage; j'en achetais beaucoup à l'époque des livres d'occasion, dans les années quatre-vingts, surtout des Pléiades, à petit prix, ça vaut le coup, et des auteurs que « j'essayais ». Céline était un ce ceux-là, qui n'était pas au programme du collège -- l'est-il maintenant -- mais dont j'étais au courant notamment par Malraux. L'exemplaire semblait en bon état, je l'acquis. Le feuilletant, je constatai quelques soulignements et, en marge, quelques astérisques; pas bien grave, je m'étais depuis un certain temps libéré de cette espèce de fétichisme qui en empêche plusieurs d'annoter leurs livres, les traitant avec la même vénération qu'autrefois les croyants portaient aux reliques.

J'entrepris donc le voyage soulignant et annotant généreusement -- j'aime bien placer en marge une sorte de « K » que j'entoure d'un cercle, un peu comme une perluète, réminiscence du « capitalissime » proustien. Arrivé à la page 295, début d'un chapitre -- voir la vignette -- je constate que le lecteur qui m'a précédé a tenté d'effacer au fluide correcteur le soulignement d'un passage, puis, rageusement, recopié en capitales le passage au haut de la page, mais en en escamotant quelques lignes (preuve que le lecteur se fait auteur);  le tout appuyé en bas de page, d'un très vif « Espèce d'enc... qui marque les livres ! ».

En l'espèce, l'arrosé devenu arroseur.

Pour moi, le mal était déjà fait, et je persiste (mais sans signer).

Le passage en question n'est pas sans rapport avec la citation ci-dessus :
« J'étais comme arrivé au moment, à l'âge peut-être, où on sait bien ce qu'on perd à chaque heure qui passe. Mais on n'a pas encore acquis la force de sagesse qu'il faudrait pour s'arrêter pile (le furieux transcrit « s'arrêtait ») sur la route du temps, et puis d'abord si on s'arrêtait on ne saurait quoi faire non plus sans cette folie d'avancer qui vous possède et qu'on admire depuis toute sa jeunesse. Déjà on est moins fier d'elle sa jeunesse, on ose pas encore l'avouer en public que ce n'est peut-être cela sa jeunesse, de l'entrain à vieillir. »
On constate bien, à la lecture de ce passage, que déjà, dans les années trente du siècle dernier, le progrès faisait rage : « folie d'avancer »...

.4 Incipit

« Comment commente-t-on un livre ? Au fait, ça commence ou ça démarre, l'écriture d'un bouquin ? Peut-être que ça pourrait débuter ? »  R. Lévesque
« Ça a débuté comme ça. Moi, j'avais jamais rien dit. Rien. » L.-F. Céline
 Quand on aime aimer, on veut émuler, n'est-ce pas ?

.5 Relecture

Est-ce que ma phrase  « D'occasion ... » ne constituerait pas comme un pastiche inconscient de Céline ? Cela dit, j'ai toujours assez aimé l'inversion (penchant bien naturel diront ceux qui me fréquentent de plus près), déjà du temps de la législation : elle permet de mettre en évidence tel élément de la disposition.

mardi 23 avril 2013

Vingt-deux

.1 Vacance(s)



Une semaine sur la côte du Maine, à York Beach, m'aura permis de lire et d'écrire tout mon saoul, pensez-vous ? Allons donc : la bonne compagnie, et les plaisirs qu'elle nous procure, n'est pas compatible avec le recueillement nécessaire, et puis, le grand air, surtout qu'il était un peu vif, prédispose au sommeil; encore une fois, ce sera en rêve que j'aurai le plus écrit, et les vacances causes de la vacance du blog. Je reprends du collier depuis mon retour, m'étant bien reposé de ces vacances...

.2 Corrections

C'est un peu compliqué, m'écrit-elle, avec ces « laquelle », on ne s'y retrouve pas. Il faut croire que, libérée du corset législatif, ma prose tombe dans l'excès contraire et devienne un peu trop serpentueuse, voire précieuse. Un peu piqué, néanmoins, je tentai de justifier les deux relatives, mais demandai son avis à une de mes fidèles lectrices (que je remercie au passage), laquelle, étant du bâtiment, a un jugement linguistique au dessus de tout soupçon.

Texte de départ

D’une pierre deux coups, se dit Thomas, je deviens à la fois un vieux et une vielle dame. Comme il n’avait pas joué depuis une bonne décennie (décade eut écrit le multimédiatique Nault de Sentir), il était un peu nerveux quand il se présenta à la première soirée à laquelle il fut convié par le couple en cause, et à laquelle officiait un charmant octogénaire – qui « en était » –, maître ès bridge de surcroît. 

Version n° 1

D’une pierre deux coups, se dit Thomas, je deviens à la fois un vieux et une vielle dame. Comme il n’avait pas joué depuis une bonne dizaine d'années (décennie, décade sont des termes plus techniques, dans le langage courant on dirait plutôt dizaine d'années), il était un peu nerveux quand il se présenta à la première soirée à laquelle l'avait convié le couple. Un charmant octogénaire – qui « en était » –, maître ès bridge de surcroît, officiait.

Version n° 2

D’une pierre deux coups, se dit Thomas, je deviens à la fois un vieux et une vielle dame. Comme il n’avait pas joué depuis une bonne dizaine d'années, c'est avec un peu de nervosité qu'il se présenta à la première soirée à laquelle le couple l'avait convié. Un charmant octogénaire, maître ès bridge, officiait.

Dont acte.



lundi 15 avril 2013

Vingt-et-un

.1 Jean Marcel, Sidoine ou la dernière fête.

Le commentaire de ce roman de Jean Marcel a déjà été publié il y a plus de dix ans dans l'ancêtre du blog, le webzine En toutes lettres, devenu depuis inaccessible, le site qui l'hébergeait ayant été cédé à une société qui exige un fort paiement pour donner accès aux données.

J'ai déjà dit tout le bien que je pense du roman Hypatie, je ne saurais trop recommander celui-ci, même s'il est sans doute devenu très difficile à trouver, hormis en bibliothèque. Je le crois même disparu du catalogue de son éditeur.

Je republie l'article pour une autre raison : l'évolution de mon style.

J'étais encore au ministère fédéral de la Justice, à la rédaction des lois, où j'avais la réputation de faire très court, très sec : un des rédacteurs les plus concis; souvent, très souvent, et contrairement à ce qu'on croit souvent, mes textes étaient bien plus courts que ceux de mes corédacteurs anglophones; c'est qu'ils n'étaient pas traduits... et le génie de la langue française favorisant l'abstraction permet la concision. J'avais, comme dit Cyrano, mes élégances...

Peut-être en donnerai-je un jour quelques exemples.

Je constate que cette rigueur se manifestait également dans mes autres écrits... Je me suis depuis, vous qui me suivez depuis un moment l'aurez constaté, affranchi de ce corset, et laisse maintenant ma phrase respirer, d'où une nouvelle ampleur, une certaine sinuosité, qui s'accorde mieux avec le flux de ma pensée, laquelle est devenue une belle promeneuse...

Influence de Proust, certainement. Et de Rinaldi aussi.

Cela dit, j'ai toujours aimé les incises encadrées de tirets, et les points-virgules. J'aime à aimer les mal-aimés !



vendredi 12 avril 2013

Vingt

.1 Retraite 2





            À l’horizontale. Conception, naissance, trépas. Tout se passe ainsi. Comme lettre à la poste. Pour Thomas Lefrançois, c’est aussi à l’horizontale que ça se passait ce jour-là.

            C’est à l’horizontale, à cinquante et quelques, que Thomas devint vieux. Sur le divan, à la séance de mercredi dernier, je crois. Rien à voir avec son anniversaire de naissance. Il prit conscience de l’existence d’un avant, alors que, jusqu’à ce moment, il tenait, comme tout un chacun, l’avenir pour une droite ininterrompue sur le chemin du succès et de la réalisation de soi – l’un allant de pair avec l’autre, comme d’ores et déjà, et succès étant synonyme de bonheur – puis, l’avenir devint présent et il entra dans l’âge d’or. Pour peu, je dirais les pieds devant.

            Cela vint par la voix du bon docteur Clément. Par parenthèse, on se demanderait, ce qui appellerait de nombreuses apostilles, ce qu’un Lacan eut dit de ce patronyme : clé, ment… Voix d’en haut, et un peu sur la gauche, vu la position du divan. Parole aussi rare que lourde de sens. Oracle et sentence :

            — Il n’y a que peu de chances que vous ne retourniez jamais au travail.

La réalisation de cet avant, lui allongé – ah ! la beauté de la participiale latine – mit en évidence l’irruption d’un après que Thomas n’avait jamais, lors , envisagé. Plus qu’une pause, une césure : un point virgule à tout le moins. À la réflexion, cela advint et soudain et soudainement.

Ici, Thomas,  assez méticuleux sur la grammaire et le bon usage, digressa sur l’usage généralisé du second pour le premier, notamment sur les ondes nationales, et dans le billet de Martin Nault, de l’hebdomadaire Sentir, qui est au journaliste ce que le cracheur de feu est au cirque, prognathe et la patate en bouche, grand enfonceur de portes ouvertes et girouette de la bien-pensance platoïdienne. In petto la digression, car il en fit grâce au bon docteur, doutant de la pertinence psychanalytique de celle-ci, du moins pour l’heure; y revenir sera toujours possible à une prochaine séance.

En bref, Thomas devint vieux quand l’imminence de la retraite lui apparut sinon évidente, du moins inéluctable.

* * *

            Thomas se prit, sur le chemin du retour, à réfléchir sur son nouvel avenir : les sous, la retraite, le temps dit libre; mais surtout à son passé qui se chargeait maintenant d’une qualité toute historique. Le fini annule le « à suivre », c'est-à-dire ce quotidien plein d’agitation où il faut être le meilleur, où orgueil et vanité sont vertus et où tout doit être urgent sous peine de déclassement. Oui, Thomas avait été brillant et son ascension au ministère fulgurante; du moins se plaisait-il à se l’entendre dire et à le croire. Pourtant sa carrière lui pesait parfois, qui n’en finissait pas, d’illusions perdues en déconfitures amères, de ne pas décoller. Nuages sur avenir radieux, lendemains qui déchantent.

            Mais la retraite ?

            Son propre corps, son cerveau, le met en demeure, pour ne pas dire à demeure. Une sorte de lock out physique. En panne, ce cerveau si performant, siège d’une intelligence peu commune, disait-on. Désordre synaptique, connexions chaotiques. Un humoriste oublié, Pierre Daninos, avait, d’une situation semblable, tiré un très beau récit, Le trente-sixième dessous, maintenant épuisé – ironie. Oui, c’est ça, le trente-sixième dessous. Mais le divan, la voix : la retraite, maintenant ?

Thomas, revenu chez lui, se sentait des ailes lui pousser : la vieillesse en donnait donc ? Allégresse trompeuse sans doute. Il voulut bien se rendre compte de sa situation, et, en fonctionnaire prudent – futur ex fonctionnaire, corrigea-t-il aussitôt – jugea prudent de bien prendre toute la mesure des possibilités de sa jeune qualité de vieux et, en conséquence, de procrastiner. On ne se défait pas en un instant des réflexes acquis par une pratique bureaucratique d’un quart de siècle.

Que faire de tout ce temps ?

Réflexe immédiat du bon fonctionnaire : le plan d’action. Des ailes lui venaient ? Thomas pourrait enfin prendre son envol. Habiter au quinzième présente dans ce cas un intérêt certain, et le balcon devient une possibilité d’avenir, fut-ce à court terme. Il est toujours là, pour la vue surtout, la ville aux pieds, comme pour un cliché. Un peu pour y prendre l’air, avec une option sur la solution finale, si j’ose dire. Prendre l’air, mais avec un point de chute. Une brève verticale avant l’horizontale définitive. L’envol serait bref, la chute de conséquence. Destination au choix : le jardin ou le parking; le vert ou le noir. Ne voulant rien précipiter – pratiquant, le lecteur le constate, un humour parfois limite, comme dirait le multimédiatique Nault de Sentir –,  Thomas referma la porte-fenêtre, après avoir fait rentrer le chat Ludo, qui prenait le chaud sur la chaise longue en teck, genre paquebot, récemment acquise, et que celui-ci avait sitôt confisquée sans autre forme de procès.

* * *

            Devenu vieux et retraité, Thomas devra trouver des activités correspondant à sa nouvelle qualité. Le hasard voulut que, quelques semaines auparavant, il eut rencontré, grâce à un ami à nous commun, un couple de dames dont l’un des intérêts, outre une frénésie de l’activité physique comme la course à pied, le vélo, le marathon ­– du genre qui appellerait une note en bas de page, ou à tout le moins une digression, sur le narcissisme gay et la haine de soi, mais l’on sait quand il vaut mieux s’abstenir –, était la pratique du bridge.

            D’une pierre deux coups, se dit Thomas, je deviens à la fois un vieux et une vielle dame. Comme il n’avait pas joué depuis une bonne décennie (décade eut écrit le multimédiatique Nault de Sentir), il était un peu nerveux quand il se présenta à la première soirée à laquelle il fut convié par le couple en cause, et à laquelle officiait un charmant octogénaire – qui « en était » –, maître ès bridge de surcroît.

mardi 9 avril 2013

Dix-neuf

.1 Retraite


Thomas est devenu vieux hier. Rien à voir avec son anniversaire de naissance. Sur le divan, à la séance de mercredi dernier, je crois. Il prit conscience de l’existence d’un avant, alors que, comme tout un chacun il tenait sa vie comme un droite ininterrompue sur le chemin du succès et de la réalisation de soi – l’un allant de pair avec l’autre, comme d’ores et déjà, et succès étant synonyme de bonheur – ce qui fit que tout à coup, il s’est senti vieux; à cinquante et quelques. La réalisation de cet avant, lui allongé – ah ! la beauté de la participiale à la latine – mit en relief l’irruption d’un après qu’il n’avait jamais, lors , envisagé. À la fois soudain et soudainement. Ici, Thomas,  assez méticuleux sur la grammaire et le bon usage, ferait bien une digression sur l’usage généralisé en Nouvelle-France du second pour le premier, notamment sur les ondes radio-canadiennes, et dans ce quotidien dont la devise fut « Fais ce que dois », mais qui ne fait que ce que peut. Et dans ce billet de Martin Nault, de l’hebdo Sentir, qui est au journalisme ce que le cracheur de feu est au cirque, prognathe et la patate en bouche, car il sévit également sur les ondes, enfonceur de portes ouvertes et girouette de la bien-pensance égotiste. En fait, toujours sur le divan, il se la fit, la digression, mais en fit grâce au bon docteur, doutant de la pertinence psychanalytique de celle-ci, du moins pour l’heure; y revenir sera toujours possible à une prochaine séance. Bref, Thomas devint vieux quand l’imminence de la retraite lui apparut sinon évidente, du moins inéluctable.