mercredi 27 février 2013

Dix

L'esprit vagabond, d'André MAJOR, et RAMUZ

Entre la session chez l'acupuncteur et le rendez-vous chez le médecin, je disposais d'assez de temps pour passer par le Port de Tête -- j'évitais jusqu'à maintenant de nommer ma librairie, ou tout autre commerce, pratique héritée de mes jours de radio, mais ceux-ci révolus, et depuis longtemps à dire le vrai, plus rien ne s'y oppose, d'autant plus que j'aime cet établissement pour ses libraires, d'authentiques libraires, qui m'y accueillent et sont ... d'un commerce fort agréable, et de bon conseil -- y prendre le livre d'André Major mentionné en titre. Lequel fait le pont, dans les carnets que tient l'auteur depuis le milieu des années soixante-dix, entre Le Sourire d'Anton ou l'Adieu au roman et Prendre le large dont il a été question passim dans Les cendres et le plumeau, et dont je remets incessamment la mise au net du commentaire, mais qui ont constitué le miel de la fin de l'année -- moment où je me suis enfin résolu à tenir avec les présentes apostilles -- pourquoi non ? mes propres carnets de lecture, et même de vie.

Encore un peu de temps avant le médecin, direction la maison Camellia Sinensis, au Quartier latin, où je pourrais, outre prendre le thé, aujourd'hui un blanc de Chine, à loisir regarder la neige qui tombe... et feuilleter ma nouvelle acquisition. Un livre nouveau se prépare à la lecture, c'est ce que m'a enseigné tel amateur, et dont j'ai adopté la pratique : on l'ouvre, couché sur le dos, puis de gauche, puis de droite, alternativement, on prend une petite quinzaine ou vingtaine de pages, et l'on glisse le doigt du haut en bas en appuyant avec une certaine force, et jusqu'à parvenir au centre; ainsi, l'objet se manipulera bien mieux, et le dos ne s'abimera pas.

Au hasard de cette opération, que j'effectue toujours avec une lenteur certaine, page 214 :
« 22 décembre -- Hier soir, j'ai lu d'une traite un Ramuz acheté à Lausanne en 1982, au cours d'un reportage radiophonique [...]. Il s'agit de Découverte du monde, récit autobiographique ou plutôt récit d'apprentissage... »
Et page 217 :
« Soit dit en passant, je dois être avec Pierre Morency l'un des rares lecteurs de Ramuz -- du moins dans ma génération. »
Retour, dès lors obligatoire, vers De livre en livre, de Michel Cournot, daté du 16 octobre 1978 :
« Dans notre pays, les lecteurs de Ramuz sont introuvables. Sont-ils quinze ou soixante-dix, difficile de savoir, mais c'est dans ces eaux-là. Et Ramuz a fait remarquer qu'un si petit nombre de lecteurs, qui plus est, va diminuant : un jour ou l'autre, l'un d'entre eux part pour l'autre monde, l'un a les yeux trop usés pour s'entêter bêtement à le lire, au besoin l'un lâchera l'équipe, il a perdu le feu. »
C'était tout juste avant la fondation, en 1980, de l'association (France) Les amis de Ramuz, laquelle n'a pas, depuis, acquis le statut d'internationale...

Tout cela d'avoir, au salon de thé, regardé la neige qui tombe : pour moi, c'est du bonheur. Non dissemblable à celui procuré par la première gorgée de bière vantée naguère par quelqu'un de bien moins obscur que notre très rare Helvète.

mardi 26 février 2013

Neuf

Je viens de mettre en ligne un texte sur le roman Aline de Charles-Ferdinand Ramuz. Je voulais le présenter d'un seul tenant, massif, comme la lourdeur du temps passé, comme la lourdeur de cette histoire de toujours. Après beaucoup d'hésitation, j'ai décidé, pour faciliter la lecture sans doute, de le briser en plusieurs paragraphes. « Briser » est le mot. Je le restitue ici « en bloc », à vous de choisir.
La campagne dans le canton de Vaud, en Suisse, au début du XXe siècle, c'est en 1905 peut-être, mais ça aurait bien pu être en 1705 ou en 1505. C'est ainsi : les homme sont les hommes, et forts, les femmes parlent et sont les choses des hommes, les saisons vont et reviennent, comme le service à l'église le dimanche, les semailles et les moissons. Quand un homme voit une jeune fille sur son chemin, et qu'il est le Julien Damon, et qu'elle est l'Aline, la fille de la veuve Henriette, il peut lui parler. Et s'il lui parle, c'est qu'il veut la voir. La voir et l'avoir. Même qu'il lui donne de belles boucles d'oreilles, mais qu'elle ne pourra porter, vu que sa mère, à elle, ne comprendrait pas. C'était si bon l'amour pour elle : « Quand on aime, le temps où on ne s'est pas aimé est comme une belle robe qu'on n'a pas mise. » Elle, l'Aline, pour le Julien elle était un peu comme un nouveau jouet, mais dont il se lasse bientôt. « Il était pareil à un homme qui s'est assis à une table servie et se lève quand il n'a plus faim. Il se lève et on voit qu'il va s'en aller et qu'on ne peut plus le retenir, parce que l'amour qu'il avait était une faim qui passe, comme la faim passe. » C'est ainsi depuis toujours. Une nuit, il ne vint pas. « D'abord elle crut seulement que Julien était en retard. On ne fait pas toujours ce qu'on veut; voilà ce qu'elle se disait. Mais, à mesure que le temps passait, elle devenait plus agitée, à cause de ses imaginations. On pense à la maladie, on pense à la mort : elle ne pensait pas à la seule chose véritable, qui est la cruauté des hommes. » D'autant plus que l'Aline, elle n'était pas bonne à marier, elle n'avait pas de biens la fille de la veuve Henriette.C'est ainsi depuis toujours. Et puis, peu après : « Il faisait un petit temps gris un peu frais, et il soufflait un rien de bise. Le ciel avait des nuages blancs tout ronds qui se touchaient comme les pavés devant les écuries. Les vaches dans les champs branlaient leurs sonnailles de tous les côtés. » Elle lui montra son ventre, c'est vrai; « fiche moi le camp », dit le Julien à l'Aline. C'est dire que ce n'était pas une bonne fille, maintenant tout le village savait.« Les choses viennent, on ne peut pas les empêcher. » Julien, lui, est en bonne santé et content de vivre, les gens disaient : « Celui-là, il a eu au moins une femme qui l'a aimée. » Mais ne disaient rien d'autre. Le malheur, un vrai malheur, finira bien par arriver .C'est ainsi depuis toujours.Cela finira bien au cimetière : « C'est un endroit plein d'oiseaux, de fleurs et d'ombre. Il y a un vieux mur qui croule pierre à pierre parmi les orties et les coquelicots. Des ifs et des saules pleureurs ombragent les tombes aux noms effacés; les couronnes de verre, suspendues aux croix de bois, tintent quand il fait du vent. Il y a aussi des tombes oubliées, pleines de mousse et de pervenches. Les fauvettes, les mésanges qui sont farouches et les chardonnerets qui sont verts et gris, avec un petit peu de rouge, nichent dans les branches. Et les marguerites, l'esparcette, la sauge, le trèfle, fleurs des champs semées là par la brise, s'ouvrent parmi les hautes graminées. »

Il y a les hommes, il y a les fauvettes, les mésanges qui sont farouches. C'est pourquoi on lit Ramuz, pas pour les cinquante nuances de gris des pavés de saison, pour les fauvettes, les mésanges qui sont farouches.

C'est ainsi depuis toujours.

dimanche 24 février 2013

Huit

AU MILIEU DE MA VIE, PEUT-ÊTRE À LA VEILLE DE...

Voilà quarante ans paraissait cette belle  chanson éponyme d'un disque de Pauline Julien, empreinte d'une certaine tristesse dans le regard sur le temps passé. C’était en 1973, à l’été, je crois. Bien qu’à peine dans la vingtaine, et donc encore à bonne distance du milieu de ma vie,je fus aussitôt séduit par ce beau récit de vie, et surtout marqué par le deuxième hémistiche et ses points de suspension ouverts sur une question, ou plutôt le constat de la condition humaine : ne sommes-nous pas tous, peu importe l’âge, constamment « à la veille de…» ?

En 1973 Pauline Julien était dans la quarantaine, j'entrais dans la vingtaine, âge où l’on se soucie généralement peu de la mort, laquelle est une affaire de vieux; aujourd’hui, elle n’est plus, sauf dans la mémoire de quelques uns, et je suis au seuil de la soixantaine, vieux en somme, et plus que jamais « à la veille de… »  dans la fragilité de l'instant qui passe.

Entretemps, les illusions peu à peu dissipées, de même que la foi un peu niaise de l'éducation religieuse de mon enfance,  le dieu, qu'on me disait bon, reprenant sa place au rang des autres mythes, j'apprendrai que le passé m'échappera toujours et que seul compte le présent, car, contrairement à ce que la chanson nous dit, elles ne sont jamais disparues ni envolées nos années vécues, pour peu que nous saisissions l'importance du carpe diem latin.

Et d'écouter, de temps à autre la voix de Pauline Julien toujours si présente.
Vous voilà devant moi
vous mes années vécues
envolées disparues
au plus profond de moi
et sur ma face même
inscrites ici et là
je vous trouve à la trace
du doigt et du regard
que suis-je devenu
que serai-je demain

au milieu de ma vie peut-être à la veille de...

De ma main entrouverte
j'offre et je cueille encore
il faudrait tout garder
et ne rien retenir
qu'en dites-vous amours
avez-vous un regard
qui puisse me séduire
m'offrez-vous des merveilles
que je ne sache pas
vous êtes si lointaines

au milieu de ma vie peut-être à la veille de...

il était une fois
aujourd'hui c'est de même
bruit de guerre bruit de mort
des jeunes gens en colère
qui meurent tout recommence
l'oppression et la peur
on marche dans les décombres
on se couche dans la boue
on rêve d'une maison

au milieu de ma vie peut-être à la veille de...

voilà qu'il faut en rire
tous ces pleurs et ces cris
les regards étonnés
les désespoirs du petit jour
tu l'auras oublié
le matin de tes noces
je m'en souviens toujours
je t'ai aimé, je t'aime
peut-être que je n't'aime plus
on le saura demain

au milieu de ma vie peut-être à la veille de...

et j'en peux dire encore
et j'en peux dire toujours
j'ai déjà trop parlé
plus rien ne s'ra pareil
j'opte pour le silence
pour la bataille sourde
les coups bien camouflés
pour la métamorphose
d'une seconde vie
ou qui sait pour l'oubli

au milieu de ma vie peut-être à la veille de...

dire et tenter de savoir
comment vivre et mourir

au milieu de ma vie peut-être à la veille de...

je m'endors et je rêve...


Paroles de Pauline Julien.
Musique de Gaston Brisson et Jacques Perron
© Éditions Nicolas.
Tous droits réservés.

jeudi 14 février 2013

Sept

Allez savoir

Comment se fait-il que l'article Six que je croyais avoir mis en ligne hier après midi ne l'a pas été ? Bien étrange chose, sur laquelle on n'a pas réellement prise; en tout état de cause, même si l'effet est un peu affaibli, on voudra bien le lire comme si les faits s'étaient produits aujourd'hui.

Car je vais bientôt, et pour un bon moment sans doute, vous entretenir de la difficulté « d'écrire la vie ». Réflexion que je nourris, et qui me nourris, depuis la lecture des carnets d'André Major, et surtout depuis que j'écoute les cours donnés par Antoine Compagnon au Collège de France : nourriture, comme disent les Anglos, pour l'esprit. Écoute et réécoute.

Parlant de maladie, le mois de janvier, rhume et bronchite oblige, et sans doute aussi l'âge, m'aura vu bien diminué, au point, et ce n'est même pas une maladie bien grave, d'en perdre le goût de lire et, a fortiori, d'écrire. Rhume et bronchite : imaginez une vraie maladie. En tête, le naufrage de la vieillesse redouté par de Gaulle (pas de majuscule au « de », on aura vérifié ». Tant il n'est pas certain que, sur le paquebot de la vie, il y ait suffisamment de canots de sauvetage...

Rien pour la Saint-Valentin; d'ailleurs, comment osez-vous, mécréants, faire ripaille ? nous sommes en plein carême. Tout ça pour quelqu'un qui n'est même pas un vrai saint, un complot du capitalisme anglo-saxon ! Convoquons céans le ban et l'arrière ban altermondialiste !


Six

Serenity now

Je rentre de ma piquerie juste à temps pour le five o'clock, lequel, chacun le sait, se prend à 16 heures. Il sera vert et chinois, cela va de soi. Le trajet depuis Cartierville est d'environ une heure de bus et de métro, assez pour quelques lignes et photos. Pour mémoire, quoique ce détail n'a que peu d'importance -- qui s'en souviendra demain -- quel bel après-midi, avec un léger redoux ensoleillé, pas assez pour inonder les trottoirs et rendre la marche désagréable, mais laisser sur la joue la sensation du contact avec le drap fraichement lavé (et pour les plus zélés d'entre nous, repassé). La piquerie, j'en sors toujours fort serein, et bien détendu. Piquerie ? Je pressens un sourcil interrogateur, voire désapprobateur. Autre détail pour mémoire : je me souviens de l'effarement d'un médecin de mes amis, aussi minutieux que consciencieux, au vu de ce terme dans ma correspondance, et de me téléphoner sur le champ. Piquerie : lisez le cabinet d'acupuncture que je fréquente, c'est, si on veut, l'absinthe de mon spleen. C'est ainsi que, tout bois, je suis sujet au vent qui trouble l'harmonie entre mes yin et yang : que j'aime ces métaphores de la médecine de Chine.

Halte à la librairie, où un livre m'attend depuis quelques semaines, et que rhume et bronchite oblige, je n'ai pu aller chercher, mais comme j'ai entrepris la lecture d'un de mes livres à livres -- De livre en livre, de Michel Cournot, commentaire à suivre sur Les cendres et le Plumeau -- je me suis procuré deux titres d'Henri Michaux, Un barbare en Asie et Ecuador, grâce auxquels je voyagerai dans les semaines à venir avec beaucoup plus d'agrément que toute la transhumance touristique. Agréable conversation avec le libraire, toujours d'un fort agréable commerce, échanges usuels sur nos états de santé respectifs, je le voyais amaigri -- à tort, une coupe de cheveux vous change -- il m'a, pour l'interminable bronchite, comparé à Bush le père : égalité des points.

Autre halte à la boucanerie -- qu'auriez-vous dit sur fumerie ? de la rue Marquette, et re-brin de causette.

Le reste du trajet, à pied.

mercredi 13 février 2013

Cinq

 Le souk de l'inculture

Trouvé cet article sur un blog. Quelle idée d'aller dans ce souk. On y trouve pas de livre, que des produits. Renaud-Bric-à-Brac est une sorte de Costco de l'inculture.

L'affaire Blaise-Renaud-Bray et Philippe Béha | Le lecteur

lundi 4 février 2013

Quatre

Pierre FOGLIA, Un papier blanc sur la table (extraits), La Presse, 4 février 2013.

Mon premier Foglia de 2013, deux extraits de cet article. Le premier sur le peu de cas qu'on fait de la langue -- la nôtre -- ici au Québec, à moins de se complaire dans la médiocrité --j'ai encore les pages d'André Major à l'esprit, mais j'y reviendrai. Le second, qui appelle un o tempora, o mores, car ce n'est pas la gloire du monde qui passe, mais l'ignorance qui s'installe, et elle aussi, on s'y  complait.

« PÉPÈRE LA VIRGULE - Boulevard Saint-Laurent, juste avant d'arriver à Viger, un panneau avertit les automobilistes : Attention, 1 seul voie sur Viger, option par René-Lévesque. La faute - en lettres d'au moins 30 cm de haut - frappe comme une brique dans le front.

Ce n'est pas la faute qui frappe, c'est qu'elle reste là et que personne ne se donne la peine de la signaler. La signalerait-on, personne ne la ferait corriger.

Ce genre de faute n'est pas qu'une faute, c'est une putain de verrue dans le visage francophone de Montréal. »
[...]
« MALLARMÉ JEUDI APRÈS-MIDI - L'autre après-midi, ma librairie était pleine de jeunes gens, étudiants dans la vingtaine de l'Institut de tourisme voisin. Leur liste de lectures à la main, ils venaient chercher leurs livres pour le cours de littérature. Celle-ci avait oublié d'en noter un, elle cherchait à haute voix, voyons, c'est le nom d'un arbre...

C'est pour un cours de littérature québécoise ?
Oui.

Alors c'est L'Amélanchier, de Ferron.

C'est ça ! Vous l'avez lu, monsieur ?

Oui, mademoiselle. Un grand livre. Elle prit encore Les aurores boréales, La Peste, Les Cantouques de Godin...

Ceux-là aussi, vous les avez lus, monsieur ?

Oui. Je retirai le Godin de sa pile. Ce monsieur-là habitait juste de l'autre côté de la rue, au square Saint-Louis, avec sa blonde, la chanteuse Pauline Julien. Vous avez entendu parler de Pauline Julien ?

Jamais. Elle prit encore La ferme des animaux, d'Orwell.

Ça, par contre, mademoiselle, c'est plate longtemps...

Vous avez lu tous les livres, vous, alors ?

Et la chair est triste, hélas.

Pardon ?

Rien. »
Bien triste en effet, la chair, et l'esprit aussi tant qu'à y être. Et pourtant, cela ne scandalise personne; il est vrai que ce n'est pas comme la représentation de la violence à la télé, réaliste ou pas. Mais, pour moi, c'est une violence encore bien pire : une violence contre la langue, c'est une violence contre soi -- une violence identitaire. Quand à l'ignorance...

dimanche 3 février 2013

Entre Trois et Quatre

Écrire la vie

La fatigue découlant de la récente maladie ...

André Major et ses carnets. 

Écrire la vie : Montaigne, Stendhal, Proust, cours 2008-2009.

Trois

Coryza, rhume ? Que nenni non point. Bronchite, que le médecin a diagnostiqué au seul son de ma respiration. Pour l'heure, et quelques jours encore, je suis sous traitement aux antibiotiques et en bonne voie de rétablissement. Tous me l'ont dit, j'aurais dû consulter plus tôt... Mais voilà comme l'on est, toute illusion sur sa propre condition, et le déni n'en est pas la moindre conséquence, et la crainte de Diafoirus encore plus que de la maladie.

Tout s'explique donc, ma fatigue, les palpitations et le manque d'énergie.