Pierre FOGLIA, Un papier blanc sur la table (extraits), La Presse, 4 février 2013.
Mon
premier Foglia de 2013, deux extraits de cet article. Le premier sur le
peu de cas qu'on fait de la langue -- la nôtre -- ici au Québec, à
moins de se complaire dans la médiocrité --j'ai encore les pages d'André
Major à l'esprit, mais j'y reviendrai. Le second, qui appelle un
o tempora, o mores, car ce n'est pas la gloire du monde qui passe, mais l'ignorance qui s'installe, et elle aussi, on s'y complait.
«
PÉPÈRE LA VIRGULE - Boulevard Saint-Laurent, juste avant d'arriver à
Viger, un panneau avertit les automobilistes : Attention, 1 seul voie
sur Viger, option par René-Lévesque. La faute - en lettres d'au moins 30
cm de haut - frappe comme une brique dans le front.
Ce n'est
pas la faute qui frappe, c'est qu'elle reste là et que personne ne se
donne la peine de la signaler. La signalerait-on, personne ne la ferait
corriger.
Ce genre de faute n'est pas qu'une faute, c'est une putain de verrue dans le visage francophone de Montréal. »
[...]
« MALLARMÉ JEUDI APRÈS-MIDI - L'autre après-midi, ma librairie était
pleine de jeunes gens, étudiants dans la vingtaine de l'Institut de
tourisme voisin. Leur liste de lectures à la main, ils venaient chercher
leurs livres pour le cours de littérature. Celle-ci avait oublié d'en
noter un, elle cherchait à haute voix, voyons, c'est le nom d'un
arbre...
C'est pour un cours de littérature québécoise ?
Oui.
Alors c'est L'Amélanchier, de Ferron.
C'est ça ! Vous l'avez lu, monsieur ?
Oui, mademoiselle. Un grand livre. Elle prit encore Les aurores boréales, La Peste, Les Cantouques de Godin...
Ceux-là aussi, vous les avez lus, monsieur ?
Oui. Je retirai le Godin de sa pile. Ce monsieur-là habitait juste de
l'autre côté de la rue, au square Saint-Louis, avec sa blonde, la
chanteuse Pauline Julien. Vous avez entendu parler de Pauline Julien ?
Jamais. Elle prit encore La ferme des animaux, d'Orwell.
Ça, par contre, mademoiselle, c'est plate longtemps...
Vous avez lu tous les livres, vous, alors ?
Et la chair est triste, hélas.
Pardon ?
Rien. »
Bien
triste en effet, la chair, et l'esprit aussi tant qu'à y être. Et
pourtant, cela ne scandalise personne; il est vrai que ce n'est pas
comme la représentation de la violence à la télé, réaliste ou pas. Mais,
pour moi, c'est une violence encore bien pire : une violence contre la
langue, c'est une violence contre soi -- une violence
identitaire. Quand à l'ignorance...
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