.1 Purge
Il n'y a pas que les classeurs qu'il faut, de temps à autres purger, il est bon d'administrer aux archives informatiques les rigueurs que la vulgate conservatrice assène aux économies nationales. J'ai, ce pluvieux samedi de juin, résolu de mettre fin à plusieurs années d'un désordre involontaire, et aggravé par beaucoup de maladresse, dans la tenue de mes documents.
On supprime ou on classe.
Je suis tombé, chemin faisant, sur la note de lecture consacrée à un opuscule commis par Mlle Bombardier, étoffée pour une publication sur l'ancêtre du présent blog, feu le webzine
En toutes lettres, et présentée aux auditeurs de la Première Chaîne de Radio Canada à Ottawa au temps de ma gloire radiophonique. La vanité est un mauvais défaut, et l'ironie vieillit mal (moins que l'intéressée sans doute), mais je n'ai pu me résoudre à ne pas, pour ces Apostilles, tirer de son oubli et la note et l'ouvrage. C'est que l'on avait le verbe incisif, et la colère prompte naguère ; pas un péché de jeunesse, dame ! à quarante-sept ans, mais, en plus de mots sans doute que l'occasion ne le réclamait, une sorte de « basta »... J'espère que vous en rirez un peu, qu'il n'y aie pas que Marc Labrèche qui puisse le faire.
.2 Ecce homo (so to speak)
Denise BOMBARDIER, Lettre
ouverte aux Français qui se croient le nombril du monde, Albin Michel,
Paris, 2000 (137 pages)
La réclame médiatique étant assez tapageuse
autour de cet ouvrage, je ne comptais ni le lire, ni en faire le commentaire,
sinon in petto.
D'autant plus que je ressens toujours un
certain malaise à lire le courrier destiné à autrui, en l'espèce aux Français
(pour les Françaises, j'en suis moins certain vu les thèses grammaticales de
l'auteur).
Quiconque ne fréquente pas les ondes ou, depuis
peu certaine gazette montréalaise, saura que Mlle BOMBARDIER est une
pharisienne à haut débit, avec une morale à la comtesse de Ségur et la
détermination de Simone de BEAUVOIR, bref une Sonia BENEZRA ou une Julie SNYDER
haut de gamme : elle pose des questions à des gens, auxquels elle permet
parfois de répondre, ou anime des quiz raffinés pour public inexistant.
Sa lettre comporte onze thèmes, dont Le
vocabulaire fout le camp, La France vue du petit écran, Cachez ce franc que je
ne saurais voir, Ah ! L'Amérique, Le parisianisme ou la tribu branchée, Entre
l'arrogance et l'autoflagellation.
Au fil des pages, on s’attend- en vain - à
voir Mlle BOMBARDIER nous expliquer, autrement que par des anecdotes et des
généralisations banales, les raisons de sa relation amour/haine avec les
Français.
Précisons qu'il y a certaines références qui
seront inconnues au lecteur canadien qui ne chausse pas de tennis (p. 68), ne
fait pas de l'Observateur son pain hebdomadaire et ne sait pas bien décliner
les diverses composantes de la droite (p. 43).
En revanche, le lecteur - de quelque côté de
l'Atlantique qu'il soit - trouvera un chapelet de lieux communs et de banalités
enfilés dans grâce ni humour. C'est à dessein qu'on dit chapelet, car il semble
que Mlle BOMBARDIER ne soit pas sortie
tout à fait de l'eau bénite, vu le nombre d'expressions religieuses ou
liturgiques qui rehaussent sa missive.
Pour le style et l'écriture, on trouve piquant
de trouver, chez celle qui pourfend les tournures anglaises dont raffolent nos
cousins français, bon nombre d'anglicismes de niveau élémentaire, tels «
prendre pour acquis », « cameraman » (voir Robert) et « lunatique », ainsi que
d'autres plus raffinés comme « éthique » pour déontologie.
On a parfois l'impression - fâcheuse - que le
texte a été traduit trop rapidement de l'anglais tant la phrase se lit mal ou
semble contredire l'intention de l'auteur (pages 35, 41, 51).
Des verbes sont construits sans compléments ou
avec des coocurrents erronés, les maladresses, syntaxiques (p. 47) ou autres
(p. 27), ne se comptent pas : un
paragraphe s'ouvre par un « donc » alors que rien ne le rattache à ce qui
précède.
On s'en voudrait de passer sous silence une
belle anacoluthe (à propos de son esclandre à Apostrophe au sujet de Gabriel
MATZNEFF) :
« Prévenue par mon éditeur du tort que
risquait de subir mon livre en provoquant un esclandre face à ce pur produit
branché du parisianisme littéraire, je me préparai mentalement… » (p. 78)
Broutilles que tout cela, répliquera-t-elle,
il faut lire le fond. Eh bien, descendons-y.
Soit, on fera abstraction du style brouillon
(suggestion pour le titre : Brouillon
ouvert…).
L'auteur se plaint, entre autres griefs, du
laisser-aller des Français face à l'Amérique ; ils adorent tout ce qui est
yankee, nos cousins, même la langue - mais pas la malbouffe, dont il n'est pas
question. Ne regardant pas à la contradiction, l'auteur reproche aux Français,
d'être inefficaces et bureaucratiques, et tout à fait coincés pour ce qui est
de l'argent, alors que nous en Amérique, c'est bien connu…
Ah ! L'argent, voici bien un fantasme
récurrent de Mlle BOMBARDIER : est-elle assez obsédée par la volonté de savoir
(…) le prix des choses… Espérons qu'elle a tiré un bon prix de la vente de son
petit home de Nantucket. Or, chacun, quand il voyage, est confronté au
changement ; les habitudes de l'hôte sont différentes des nôtres et parfois
nous plongent dans l'embarras. La littérature est pleine des récits de
voyageurs arrivant en France, certes, mais aussi en Angleterre, en Allemagne,
en Afrique, en Asie…sans parler même de la Californie, et surpris par les mœurs
des autochtones.
Autre grief : le parisianisme culturel des
Français (un des chapitres les plus mal torchés). Et là, soudain, j'ai compris
l'objet de Mlle BOMBARDIER. La petite Québécoise venue du mauvais côté de la
voie ferrée (peut-être disait-elle des
tracks) voudrait bien jouer dans la cours des grands, mais une clôture l'en
empêche, l'attitude des Français à son égard.
Ou comment être un meilleur Français que tous
les Français de France, y compris quelques présidents de la République - fors
de Gaulle (tiens, tiens : relation au père ?) -, ce qui, chacun le sait, est
impossible : insoluble problème d'identité. Dès lors, il ne faut pas que les
Français cessent d'être conformes à la représentation idéale qu'elle se fait
d'eux.
On reconnaîtra cependant qu'elle y a un pied
ou deux dans la cour des grands : causer avec
MITTERRAND, copiner avec PIVOT, frayer avec les GENDELETTRES, l'échec n'est pas cuisant pour notre
pharisienne !
Question qui n'a rien à voir : est-ce que
Montréal, et son gotha, ne souffrent pas de montréalisme ?
Pour rire des Français, tout ça dans un style
impeccable, fiez-vous plutôt à un britannique, qui approche le demi-siècle : le
Major THOMPSON, dont les carnets rapportés par Pierre DANINOS, n'ont pas pris
une ride, et vous éviteront la sinistre bafouille que Mlle BOMBARDIER a
infligée à nos pauvres cousins.